Le cadre et l’alternant

A priori pas tellement de points communs. Et pourtant. L’alternant, que j’ai en cours de RH et/ou de paie, (en Master I ou II) m’explique que pour réussir il « faut » être cadre. Et que pour être cadre il « faut » faire des heures. Qu’un cadre c’est quelqu’un qui est au forfait et donc qu’il peut travailler 15 heures d’affilée si nécessaire. Qu’un alternant, s’il veut réussir, réussir à être cadre, s’entend, doit être visible le soir après 19H.

Affligeant.

N’est pas au forfait qui veut. Un salarié autonome peut très bien être au forfait sans être cadre. Un cadre qui (par définition) a une équipe ou dépend d’un process, n’est pas autonome (et ne peut pas l’être). Il n’a pas tellement de raisons d’être au forfait et d’ailleurs certaines conventions collectives codifient très précisément les niveaux à partir desquels le forfait est susceptible d’être utilisé. Il n’est pas non plus écrit dans le code du travail ou ailleurs qu’être cadre prive l’individu de l’accès à des horaires décents.

Pourtant quand j’engage la conversation avec mes élèves, ils relaient tous le même discours : il faut travailler beaucoup et tard pour être visible et être remarqué. La promotion par la sortie de bureau tardive.

Réflexe typiquement français qui confond longues heures et efficacité et je ne parle même pas d’efficience. En Allemagne, aux Pays-Bas, les pères et mères de famille ont leurs soirées. Que je sache, leur niveau de vie ne s’en porte pas plus mal. Le temps partiel s’y pratique sans complexe sans pour autant entraver la progression de carrière en aucune façon.

Quel est donc ce préjugé qui veut que pour faire carrière il faille travailler (ou faire de la présence) au-delà du légal, alors que de chaque côté de la pyramide des âges, les juniors ont du mal à entrer et les séniors ont du mal à rester ? Comment en sommes-nous arrivés à faire tenir un modèle économique qui fonctionne alors que les salariés travaillent bien au-delà de l’horaire légal ? Comment peut-on accepter que l’organisation s’échafaude sur une seule tranche de salariés, de 28 à 45 ans ?

Je lisais récemment le mémoire de fin de Master I d’une jeune femme qui parle d' »emploi » pour désigner la condition de stagiaire ; et qui explique que la société où elle a effectué son stage compte plus de stagiaires que de permanents. Comment dans ces conditions peut-on espérer progresser, créer de la valeur et surtout financer toutes ces caisses à bout de souffle, au détriment de toute protection sociale ?

Je n’ai pas la réponse ; je continue à demander à mes élèves de cesser de relayer ce diktat de la semaine à 55 heures pour réussir. Mais ils me répondent que pour eux c’est la seule voie pour trouver un emploi et accéder à ce (pour eux encore) mythique statut de cadre. Et où est la place de la performance, dans tout ça ?

DSC_0049Les vaches de Panurge … Photo Pascal Thénault

4 réflexions sur “Le cadre et l’alternant

  1. eveange66 dit :

    Anne, encore une fois, tu mets le doight sur la schizophrénie du monde du travail français (oserais je dire, de la société française ?!). « Tout le monde  » peut être cadre désormais, et n’encadrer personne, juste soi même et encore !! Je suis bien placé pour le savoir, en tant qu’assistante (chut, ne pas le dire, les gens sur Link… crois que je suis …cadre de gestion, ça fait plus efficace et vrai job bien sur !!!), je suis cadre depuis des années et alors ? Si effectivement, mon statut au forfait fait que, contractuellement, j’ai un certain nombre d’heures de travail à effectuer, je ne suis pas pour autant pour le présentéisme. Sauf si j’ai quelque chose à achever, une urgence. Ou si j’aime mon job, comme c’est le cas actuellement. Et, que je sache, lors des entretiens, il n’est pas demandé, au préalable, aux candidats, de s’angager à travailler au delà de certaines heures pour obtenir le job.
    Ou alros c’est informel ? En tous les cas, je ne l’ai jamais ressenti de la sorte. En revanche, oui, l’on m’a souvent demandé si je souhaitais des horaires bien fixes….
    Le statut cadre permet une meilleurere retraite etplus d’impôts ! Je caricature, oui, à dessein. Il faut arrêter de focaliser sur ce statut, pas toujours la panacée. Mais bon, le prestige (comme la bagnole de sport rouge, la Rolex avant les 50 ans et autres ??!!) en France a encore de beaux jours, à défaut de réelles compétences mise en avant.

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  2. Padro dit :

    Beaucoup à dire.
    Dans de grandes entreprises Européennes, voire Mondiales, mais Françaises toutefois du secteur financier, il y a bien un discours comme vous l’expliquez auprès des jeunes incitant à une présence longue et significative durant la journée de travail.
    J’étais employè dans l’une de ces entreprises, qui faisait travailler sur la fin une majorité de jeunes en fin de master et d’intérimaires, pour n’employer au final que les étudiants en fin de leur cycle. Pour ceux-ci, une espérance d’emploi à 80% en 2008, sans espoir en 2013. Avec 70.000 € en 2008, au mieux 30.000 en 2013. Les employés de longue date ont été propulsés dans cette période cadre au forfait, avec pour seul objectif de les voir faire leur onze heures d’affilé sans contestations.
    Les contestataires n’avaient pas d’épée de Damoclès sur la tête dans les sens ou ils ne risquaient pas le licenciement, sauf si faute grave. Non, Juste de la souffrance au travail. Car là, c’était le déchaînement. Et bizarrement, des gens déjà en souffrance ont à leur tour fait souffrir. Dramatique.
    J’espère sincèrement que le management Français changera, que l’on s’apercevra que les relations humaines passent par un meilleur dialogue et partage de compétences entre les collaborateurs et la hiérarchie. Et si on est persuadé que les choses changent, je pense que cela n’est pas le cas.

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