Depuis 18 mois que j’ai créé mon activité, et je n’ai jamais été autant chassée pour le secteur marchand. Plusieurs fois. Pour certaines compétences « rares » dont par hasard je dispose. Par le biais de mon réseau. Pour m’associer à des projets. Pour partager mon savoir-faire. Par des chasseurs ayant pignon sur rue.
Alors que le chômeur n’intéresse personne, ce dernier se met en freelance, parce qu’il a quelques scrupules, ne veut pas vivre sur le commun, il redevient l’objet de convoitises.Et c’est tant mieux.
Pour le moment j’ai toujours dit non.
Quand j’en parle autour de moi on me dit : « tu es folle, que fais-tu de la sécurité, de la protection sociale, tu es inconsciente, tu as un enfant à charge. Accepte ». Entre autres.
Oui, en effet, pourquoi quand j’ai quitté mon dernier emploi de salariée avais-je autant la trouille de me mettre en entrepreneur de soi et pourquoi aujourd’hui ai-je la même crainte à revenir en situation de subordination ?
Quels sont les avantages de la « liberté » ?
- la possibilité de faire un travail éthique, à savoir pouvoir adopter une posture en accord avec soi. Toujours. Sans compromis ni compromission
- pas de comptes à rendre à une hiérarchie (si ce n’est le percepteur)
- une importante autonomie procédurale
- le choix de dire « m… » à un client qui ne vous vaut pas (je rigole) ou qui ne vous convient pas ou qui ne vous comprend pas (ça existe) ; à moins que ça ne soit le contraire
- l’impératif de toujours se remettre en question, en tant qu’individu et en tant que professionnel
- la conscience que rien n’est jamais acquis et que justement c’est ça qui est bien
- la diversité des situations, des problématiques à traiter. Celles d’hier ne sont pas celles de demain, en plus. Ca force à une agilité sans faille
- l’intérêt des rencontres très diverses, toujours enrichissantes
- L’impératif de toujours rester en veille, de s’informer, progresser, de garder le contact avec la réalité du terrain pour la transposer dans sa propre activité
- l’agilité intellectuelle qui vous pousse dans un cercle vertueux
- un excellent retour sur investissement en termes de connaissances
J’oubliais : la jouissance à se dire : « yes ! le client me demande autre chose, le client est content, le client revient ». Et puis en écho le plaisir de voir le compte en banque crédité de la somme négociée avec le client. Concrètement, une corrélation très étroite entre la qualité de votre travail et sa rémunération, aucun brouillage, un lien de cause à effet sans discussion possible. Le chemin est tout court, pas d’intermédiaire qui se sert au passage.
Et en même temps :
- difficile d’avoir un weekend à soi car il y a toujours le client qui vous a commandé une mission à faire pour la veille et que vous ne voulez pas décevoir
- difficile d’avoir la quiétude d’esprit car votre agenda est très chargé et il faut pourtant du temps pour terminer la session de formation commencée et dont vous voyez l’échéance s’approcher irrémédiablement, difficile de dégager du temps indispensable pour se ressourcer auprès de ses pairs, réseauter, assister à des conférences, voir du monde …
- difficile de prioriser, compte tenu de tout ce qui précède. Personne ne décide à votre place mais vous devez prendre la décision la plus pertinente, ce qui est par ailleurs tout relatif en fonction de l’époque, des circonstances, des nécessités économiques, d’un collègue qu’on souhaite aider … On procède par itérations successives. Je ne suis pas sûre que ça soit une prérogative réservée à l’entrepreneur de soi ; les cadres des grandes entreprises se plaignent d’un manque d’autonomie dû à un manque de temps pour prendre la meilleure décision
- inquiétude constante de « demain » : pas de protection perte d’emploi, pas de compensation monétaire en cas de maladie, pas ce certitude quant à la retraite avec ce qui se dit sur le RSI en ce moment
- risque de se faire piquer des idées, en particulier quand vous intervenez en tant qu’enseignant/formateur. Quel recours par rapport à votre commettant ?
- impératif (je l’ai vécu) de « tenir » avec une grippe et 39°C de fièvre sans pouvoir faire semblant, parce qu’en face vous avez un client qui vous a acheté une formation et que vous devez l’assurer. Coûte que coûte alors que votre place est dans votre lit.
- impératif de fournir une énergie et une concentration inépuisables. Avec le sourire (dans une formation sur les RPS je parle de « conflits de valeurs »). Avoir la pêche.
Alors, repartir en entreprise ? Redevenir salarié ? Quel intérêt ?
- protection sociale (retraite ? J’ai 54 ans) ; oui pour la maladie dans une certaine mesure. Ou le gros pépin auquel tout le monde pense … pour les autres
- possibilité de faire une journée « en faisant semblant » ; quand on a un peu d’amour-propre ce n’est pas tellement satisfaisant
- avantages divers inégaux en fonction des secteurs : tickets restau, mutuelle, prévoyance, assurance RC, tout ce que le freelance doit financer lui même (ce qui justifie des honoraires plus élevés, quoique)
- accès (de moins en moins) à de la formation présentielle plutôt que d’aller au-devant de la formation de façon proactive et souvent virtuelle ; formation sur étagères peut être mais tellement moins consommatrice d’énergie
- Reconnaissance sociale : « vous en êtes », surtout si vous intégrez une entreprise « connue » (pas forcément pour les bonnes raisons).
Alors, que faire ? Répondre aux sirènes de l’amour-propre en se disant « j’ai été chassée, ouah, j’y vais » ? Rester en libéral, entreprise avec son lot de solitude, de doute mais permettant chaque matin de se dire : ce que j’ai gagné je le dois à ma compétence, ma relation personnelle client, ma personnalité, ma différence … Et à moi-même uniquement.
Qu’est-ce qui fait qu’un freelance reste freelance ? Par choix ? Et donc quelqu’un qui retourne en entreprise donnerait-il par là l’aveu que son activité freelance, loin d’être un choix l’a été par défaut ? Est-ce si simple ?
Je suis aujourd’hui face à un choix ; et j’ai du mal à trancher. Si : mon fils a eu un sourire jusqu’aux oreilles quand je lui ai dit que j’étais en bonne voie pour un CDI. Mais décide-t-on de son avenir pour rassurer son fils ?
La question, en ce qui me concerne, reste entière