Fatigué, irrité, instable, et si
vous étiez victime d’un boreout ?
Dans les centres hospitaliers, l’on craint les maladies nosocomiales ; chacun connait ce fléau, souvent relayé par les media, fléau auquel les antibiotiques les plus forts deviennent résistants. Au bureau, le staphylocoque doré se présente sous la forme du boreout, selon un nouvel ouvrage de Philippe Rothlin et Peter Werder**. Cette affection touche probablement un tiers des salariés, les impactant aussi bien dans leur journée de travail que dans leurs moments de repos, les laissant épuisés, dépressifs et généralement dans une grande insatisfaction et une absolue perte de sens. Cette affection existe probablement depuis longtemps, sans doute depuis le début de l’ère industrielle. Mais elle est plus étendue et plus dangereuse aujourd’hui, probablement du fait de l’accès généralisé aux nouvelles technologies.
L’expression « burnout » qui ne date pas d’hier décrit la situation de salariés épuisés de travail et sur-stressés. Dans leur ouvrage « Boreout ! Surmonter la démotivation au travail » Rothlin et Werder expliquent que le phénomène du boreout est tout aussi répandu et délétère et qu’il présente bizarrement des symptômes quasiment identiques.
Sous-employé vs débordé
Deux consultants européens, MM. Rothlin et Werder, s’adressent dans leur ouvrage aussi bien aux employeurs qu’aux collaborateurs, parce que le boreout touche non seulement l’individu mais aussi des organisations entières. Chaque entreprise est à la recherche de salariés motivés, qui sont un avantage concurrentiel. Or, dans une étude récente conduite par Zalary.com et AOL, concernant la perte de temps au travaii, 33% des 10 000 répondants déclarent qu’ils ne sont pas suffisamment occupés au travail.
Selon une enquête réalisée par l’agence d’intérim internationale Kelly Services, les collaborateurs sous-employés représentent le groupe le plus important de ceux qui se déclarent « très insatisfaits », soit 44%. En d’autres termes, il y a plus de répondants se déclarant démotivés que de salariés se disant stressés et candidats au burnout.
Les auteurs définissent le boreout comme « un phénomène croissant sur le lieu de travail qui se produit lorsque des salariés démotivés développent une indifférence croissante vis à vis de leur emploi et finalement se sentent coupés de leur organisation et de ses centres d’intérêt« .
Des collaborateurs souffrant de boreout présentent entre autres les « symptômes » suivants :
- sous-utilisation de leurs compétences et manque de satisfaction vis à vis du poste
- déficit d’implication
- ennui – se réfugient dans leur propre monde : préparent leurs prochaines vacances, leur weekend shopping et leur avenir pendant le temps de travail
- frustration
Que faire ?
Les auteurs estiment que la responsabilité du boreout est à chercher chez la plupart des personnes et non pas uniquement chez les salariés touchés.
Est-ce de la paresse ? Non, dans la plupart des cas les individus la combattent. La pression due à de longues journées de travail et les efforts des salariés pour distiller leur travail tout au long de la journée pour paraître occupés ; le manque d’estime de soi connexe au sentiment que l’on ne leur donne pas suffisamment de crédit pour prendre en charge des tâches intéressantes et valorisantes sont des éléments de stress intrinsèques. La plupart des collaborateurs préféreraient faire un travail qui ait du sens plutôt que de s’ennuyer.
Les organisations doivent comprendre le boreout et en tirer des enseignements. « Les employeurs doivent donner leur juste place à leurs collaborateurs et encourager la communication entre eux« , disent les auteurs. « De simples efforts destinés à donner un feedback positif font la différence, de même qu’ajouter des tâches à enjeu et non répétitives à un poste sont également d’excellents palliatifs« .
Exercer un contrôle incessant, bloquer les sites internet et autres mesures préventives/ punitives ne fonctionneront pas. Les salariés qui ont décidé d’avoir recours à des stratégies d’évitement d’un travail qu’ils détestent, qui allongent de façon artificielle les délais et gaspillent leur temps, trouveront toujours une tactique de contournement, spécialement à une époque où les technologies de type smartphone, qui proposent des jeux et une messagerie ainsi que l’accès à la toile et aux sms, sont à leur disposition et leur appartiennent.
Finalement, la clé pour éviter le boreout est détenue par le salarié lui-même qui doit aller chercher la satisfaction au travail. Selon Rothlin et Werder, la satisfaction est le fruit d’une combinatoire.
La remède au boreout : une rémunération qualitative
On obtient la satisfaction avec ce que les auteurs appellent « la rémunération qualitative« , qu’ils définissent comme le sens + le temps + l’argent. « Sens, temps et argent, combinés, sont le véhicule permettant d’éviter ou traitant le boreout. La combinatoire équilibrée des trois est le remède« .
Les auteurs insistent sur l’importance de la responsabilité individuelle à combattre le boreout. Finalement, ce sont les collaborateurs qui doivent prendre en charge leurs propres vies en prenant conscience de leurs propres contraintes et prendre en compte leurs besoins individuels.
Les collaborateurs soumis au boreout doivent en reconnaître les symptômes et se poser des questions qui font appel à un certain courage : « ai-je le courage de communiquer avec ma hiérarchie ? Ai-je la carrière qui me convient ? Dois-je prendre le risque de partir? »
Le lecteur peut se demander, à ce point : le boreout continue-t-il à être une préoccupation dans une économie en récession ? Ce à quoi les auteurs répondent : « oui ». « Le boreout demeure préoccupant en période de crise. « Nous recevons quotidiennement des emails de personnes qui ne savent pas comment occuper leurs journées de travail. Elles travaillent dans des organisations qui ont commencé à faire des PSE, mais leur situation individuelle, personnelle, n’a pas été modifiée pour autant, en dépit des circonstances économiques défavorables« .
Seule une chose diffère : « des salariés manquant de défis à relever ne sont pas heureux d’avoir un emploi, de pouvoir payer leurs factures. Ils restent dans leur poste plus longtemps et s’accommodent tant bien que mal de leur situation. Ils n’osent pas changer ».
Le boreout continue à être une réalité, estiment les auteurs, « parce que des cultures d’entreprises défavorables, des leaders et des managers peu charismatiques et une communication défaillante ne disparaissent pas des écrans radars par le simple fait que l’économie soit défavorable« .
Bilan : souffrez-vous de boreout ?
Si vous répondez « oui » à au moins quatre questions, il est temps d’agir. Soit en tentant d’évoluer au sein de votre organisation soit en cherchant un nouvel emploi qui vous offrira plus de défis à relever, plus de sens et / ou un salaire plus attractif.
- Faites-vous des choses privées pendant le temps de travail ?
- Vous sentez-vous sous-employé et vous ennuyez-vous ?
- Vous arrive-t-il de faire semblant d’être occupé ?
- Etes-vous fatigué et apathique après votre journée de travail même sans être soumis au stress au bureau ?
- Vous sentez-vous malheureux dans votre travail ?
- Pensez-vous que ce que vous faites n’a pas de sens ?
- Pourriez-vous réaliser votre travail plus rapidement que vous ne le faites ?
- Craignez-vous de changer de poste pour une question de salaire ?
- Vous arrive-t-il d’envoyer des emails personnels pendant les heures de travail ?
- L’intérêt que vous portez à votre travail est-il limité ou inexistant ?
Alors, votre score ? Ce n’est peut être pas pour rien qu’il existe une telle dichotomie entre le marché de l’emploi et le nombre hallucinant de chômeurs aujourd’hui … sujet à suivre. Ce n’est que mon avis et je le partage.
**D’après : « Boreout ! Overcoming Workplace Demotivation » de
Bonjour Anne, et merci pour cette synthèse.
La revue Management avait récemment publié, dans son n° 231 de juin 2015, un dossier similaire : « Le bore out : quand l’ennui rend malade » (page 108). Il est co-signé par Michel BARABEL et Olivier MEIER, et cite également Peter Werder et Philippe Rothlin, qui s’intéressent au phénomène depuis … une dizaine d’années !!!
Pour avoir (heureusement j’ai eu l’énergie et le recul suffisants pour prendre le taureau par les cornes et me « bouger ») vécu cette situation, je connais bien le problème.
J’ai dit et répété des dizaines de fois, dans mon rôle de manager, la phrase suivante : » Quand on constate que l’on va travailler à reculons le matin, il y a 2 voies. La première consiste à prendre sur soi, s’ancrer comme une bernique à un rocher immobile au risque de souffrir encore plus et de s’enfoncer. La seconde, celle que je défends, implique de réagir, d’accepter de quitter ce faux sentiment de sécurité qui nous retient chaque fin de mois à ce galet, de s’envoler, de prendre des risques, de vivre ailleurs … »
Cette seconde voie est certes semée d’embûches, pleine d’incertitudes, d’angoisses parfois … Mais comme l’a écrit Esope et plagié La Fontaine, préférez-vous être chien ou loup? Je vous renvoie donc à la cinquième fable du livre 1 des fables de La Fontaine, « Le Loup et le Chien », qui date de …. 1668 !
A méditer …
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Merci pour ta réaction rapide. J’aurais eu bien plus à dire mais ce serait politiquement incorrect, les mentalités ne sont pas prêtes.
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Oh oui j’ai bien connu cela, l’ennui, le début de dépression, la non reconnaissance, le combat chaque jour pour essayer de croire que l’on a, effectivement, une valeur en tant que salarié, en tant qu’être humain… Engluée dans un contrat infâme (le CDD, le pire contrat que j’ai connu), pourtant dans une société reconnue et dont le nom à une portée « politique », et en dépit du fait que je m’étais fait « chassée », je n’ai dû mon salut mental et physique (en corrolaire) qu’à une nouvelle proposition qui m’a permit de mettre un terme à cette expérience débilitante et infantilisante. Ma collègue de l’époque assistant, impuissante, à ma descente dans les abimes de la perte de l’estime de soi et les crises de larme. Couplé à cela un début de harcèlement mental, ayant vécu elle aussi (mais alors jeune mère de famile sur un nouveau poste) une désillusion et une perte de valeur. Moralité : ne jamais se fier au nom seul d’une entreprise, qu’importe une jolie carte de visite et un titre ronflant si le poste n’est qu’une vaste mascarade vide de sens ? Et je ne suis « qu’une assistante » mais je suis surtout une collaboratrice au même titre que d’autres, très mal traitée (au sens général j’entends) dans le cadre de la « gestion » des ressources humaines (tu sais ce que je pense à ce sujet hélas !). Si je n’avais pas eu cette proposition tombée à pic qui m’a littéralement fait revivre, je n’aurais pu m’en sortir avant le terme du contrat. Là j’ai démissioné d’un poste, d’une société où cela se voit très peu (les RH m’ont demandé 4 fois de confirmer… pour dire). Mais de toute les façons, je ne serais pas restée., que ce soit à quitter en cours de contrat (CDD, impossible) ou à son terme. L’intérim est milles fois mieux, et je n’ai pas honte de ce parcours. Au contraire, j’ai bien plus appris.
Dommage que ce « boreout » soit si mal connu. Je ne sais s’il intervient davantage sur les fonctions à moindre valeur ajoutée (en théorie) genre support ou administratif, il faudrait chercher. Mais, en tous les cas, une chose est certaine, si l’on ne donne pas assez de consistance à un poste, il ne fait pas non plus s’étonner du peu d’investissements de certains salariés.
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Oh oui j’ai bien connu cela, l’ennui, le début de dépression, la non reconnaissance, le combat chaque jour pour essayer de croire que l’on a, effectivement, une valeur en tant que salarié, en tant qu’être humain… Engluée dans un contrat infâme (le CDD, le pire contrat que j’ai connu), pourtant dans une société reconnue et dont le nom à une portée « politique », et en dépit du fait que je m’étais fait « chassée », je n’ai dû mon salut mental et physique (en corrolaire) qu’à une nouvelle proposition qui m’a permit de mettre un terme à cette expérience débilitante et infantilisante. Ma collègue de l’époque assistant, impuissante, à ma descente dans les abimes de la perte de l’estime de soi et les crises de larme. Couplé à cela un début de harcèlement mental, ayant vécu elle aussi (mais alors jeune mère de famile sur un nouveau poste) une désillusion et une perte de valeur. Moralité : ne jamais se fier au nom seul d’une entreprise, qu’importe une jolie carte de visite et un titre ronflant si le poste n’est qu’une vaste mascarade vide de sens ? Et je ne suis « qu’une assistante » mais je suis surtout une collaboratrice au même titre que d’autres, très mal traitée (au sens général j’entends) dans le cadre de la « gestion » des ressources humaines (tu sais ce que je pense à ce sujet hélas !). Si je n’avais pas eu cette proposition tombée à pic qui m’a littéralement fait revivre, je n’aurais pu m’en sortir avant le terme du contrat. Là j’ai démissioné d’un poste, d’une société où cela se voit très peu (les RH m’ont demandé 4 fois de confirmer… pour dire). Mais de toute les façons, je ne serais pas restée., que ce soit à quitter en cours de contrat (CDD, impossible) ou à son terme. L’intérim est milles fois mieux, et je n’ai pas honte de ce parcours. Au contraire, j’ai bien plus appris.
Dommage que ce « boreout » soit si mal connu. Je ne sais s’il intervient davantage sur les fonctions à moindre valeur ajoutée (en théorie) genre support ou administratif, il faudrait chercher. Mais, en tous les cas, une chose est certaine, si l’on ne donne pas assez de consistance à un poste, il ne fait pas non plus s’étonner du peu d’investissements de certains salariés.
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