L’idée de cet article m’est venue sur une anecdote personnelle. Il y a une vingtaine d’années, je suis arrivée au bureau la première, comme souvent. Je fais ma petite routine, j’allume le PC, je regarde mon agenda, je me prépare un café. Le ménage a été fait, corbeilles à papier sont vides. Sauf qu’un post-it froissé attire mon attention dans la corbeille de ma collègue. Bien entendu je le déplie et je lis : « Gilles, mon chéri, ne m’attend pas ce soir. Je t’aime. Flo ».
Un peu sous le choc, je n’ai rien dit. Partagée entre la gêne, une certaine sidération, un questionnement sur l’attitude à adopter. J’étais face à une réalité troublante : ma collègue vivait une relation avec notre PDG. Quelles pouvaient être les conséquences ? Qu’allait-il se passer ? D’autres collaborateurs étaient-ils au courant ? J’ai pensé qu’il valait mieux me taire. Je me suis dit que ça ne regardait personne. Et pour plus de sûreté, j’ai passé le post-it à la déchiqueteuse.
L’intrusion de l’amour
Des histoires d’amour naissent partout, y compris sur le lieu de travail. Il semblerait qu’en Europe presque un tiers des salariés soient déjà tombés amoureux d’un collègue et qu’un cinquième d’entre eux auraient déjà eu une relation sur le lieu de travail. Les conséquences peuvent être de taille. Une équipe entière, un service dans son ensemble, peuvent être impactés. Tomber amoureux d’un collègue n’est bien entendu pas interdit, mais peut tout de même conduire à une sanction. Ceci en dépit du fait que les employeurs ne peuvent se prémunir des amours de leurs salariés par des clauses de célibat dans les contrats de travail ou les règlements intérieurs. Une clause de célibat insérée dans un contrat de travail est nulle comme contraire à l’ordre public et attentatoire à la morale et aux bonnes mœurs. Elle porte atteinte au droit du mariage et à la liberté du travail.
Cass. Soc. 7 février 1968, n° 65-40622
Conséquences négatives d’une relation amoureuse au travail
Il va de soi que les salariés ont droit à une vie privée. Des relations, amoureuses ou amicales, peuvent se nouer au travail et ceci ne peut être empêché par l’employeur. Néanmoins, une relation amoureuse entre deux salariés peut dégrader le travail. Au sein d’une équipe, il peut rapidement se créer un climat d’agacement, de bavardages, de critiques, et de règlements de compte, voire de chantage Les tensions peuvent perdurer même une fois la relation terminée, ce qui n’est pas souhaitable. La RH doit intervenir dans ce cas. En organisant par exemple des entretiens, en mutant l’un des deux protagonistes dans un autre service., sur un poste équivalent. Si ceci n’est pas possible, on peut partir sur une rupture conventionnelle. Encore faut-il que ceci reste légal, car nous sommes en situation de porosité entre la vie privée et la vie professionnelle. Toutefois :
Une relation amoureuse peut créer un trouble caractérisé à l’entreprise
Si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé à l’entreprise.
Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel d’Angers, qui a constaté que le comportement du salarié à l’égard de sa concubine, également salariée de l’entreprise, avait entraîné son arrestation sur le lieu du travail, et que l’employeur pouvait craindre la survenance de nouveaux incidents, a fait ressortir que ce comportement avait entraîné, pour l’entreprise, un trouble objectif caractérisé ; qu’elle a décidé, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 122-14-3 du Code du travail, que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse.
Cass. Soc. 9 juillet 2002 n° 00-45068
La vie personnelle d’un salarié ne doit pas interférer dans l’exercice de ses fonctions
Il est probablement plus facile d’envisager un licenciement lorsque la relation se produit entre un collaborateur et son manager. Une telle relation a plus rapidement une influence sur le travail. Le manager a une obligation d’exemplarité et on se retrouve dans une situation déséquilibrée. Il suffit de penser aux évaluations annuelles pour comprendre les implications de cette situation. Comment contrôler et juger le travail d’un subordonné avec qui on partage bien plus que le travail ? Si un manager initie une relation avec un subordonné il est souhaitable que ceci soit rapidement rapporté en haut lieu. Ceci afin de réfléchir à une solution. S’il se fait silence autour de cette histoire, les conséquences pour le manager peuvent être sévères, si l’on en juge par divers cas de jurisprudence.
Contrairement à ce que prétendait un salarié, son licenciement n’était pas dû à sa vie privée mais à l’attitude inappropriée qu’il avait adoptée à la suite des décisions prises par son employeur relativement aux problèmes suscités dans l’entreprise par le comportement de sa compagne.
Ayant relevé que les réactions de l’intéressé, se rebellant de manière injustifiée contre les décisions concernant cette personne, alors que ses fonctions de direction auraient dû le conduire à prendre en considération les intérêts du groupe et à rester neutre, la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel de Grenoble a pu décider que les agissements reprochés à M. X… étaient constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Cass. Soc. 27 janvier 2010 n° 08-45203
Une question de sécurité
Je rappelle que Les employeurs doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L 4121-1 du Code du travail) ; les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits (article L 1153-1 du Code du travail). Mieux vaut donc, pour un service RH, se montrer extrêmement prudent et ne pas prendre une telle situation à la légère.
Et que sont devenus, me demanderez-vous, Florence et Gilles, qui ont inspiré ce billet ? Ils ont joué la transparence, ont expliqué leur situation à l’ensemble de l’entreprise. Florence a démissionné. Ils se sont mariés et ont eu une petite fille. Ils sont très heureux. Mais désormais en dehors de l’entreprise.
Sources : Rocheblave.com ; hrmacademy.nl.