Prenez soin de vos parents …

Je cherche comment concilier une vie professionnelle de consultante libérale et un douloureux travail de deuil.

J’ai trouvé intéressant cet extrait d’article d’après le Dr Christophe Fauré psychiatre – psychothérapeute en pratique libérale à Paris, auteur de nombreux ouvrages chez Albin Michel, dont Vivre le deuil au jour le jour, Après le suicide d’un proche

« Un jour, alors qu’on est soi même parvenu à l’âge adulte, notre parent décède. Que sa mort survienne de façon soudaine ou après une longue maladie, elle marque un tournant dans la vie de l’enfant adulte qui se retrouve alors orphelin de père ou de mère. Le vécu de ce tournant intérieur est parfois subtil, sans incidence majeure sur le cours de la vie, parfois chaotique quand il fragilise l’enfant adulte sur ses bases, au point de parasiter son quotidien.

L’enfant adulte va suivre les étapes du deuil classiques, mais il s’ajoute ici des spécificités qu’il est important de comprendre, l’enfant adulte étant parfois dérouté par l’intensité de son ressenti à la mort de son parent.

Un sentiment de vulnérabilité

La perte d’un parent induit parfois au fil des mois un sourd sentiment de vulnérabilité ou d’insécurité. De façon plus ou moins consciente et même si ce parent a été dysfonctionnel au cours de sa vie, le Parent (avec un « P » majuscule – c’est à dire le « parent idéal ») représente, dans l’absolu, l’ultime refuge de l’enfant face aux assauts de la vie, le lieu de sécurité où il peut toujours revenir quand il se sent en insécurité dans son existence. La perte de cette représentation inconsciente et idéalisée du Parent (qu’elle corresponde ou non à une réalité) traduit également la perte d’une source d’amour inconditionnel, ainsi que la perte d’un repère de vie essentiel pour l’enfant- qu’il soit petit ou adulte.

Pour l’enfant adulte d’ailleurs, la perte équivaut à une perte partielle de son histoire d’enfant: son parent était, de fait, dépositaire de souvenirs de lui/elle, enfant, et plus personne désormais ne pourra évoquer ces souvenirs d’autrefois. Ils disparaissent avec ce parent… Ce n’est donc pas qu’un parent que l’on perd, on perd aussi une partie de son être et un pilier de sécurité de son existence (même si le parent du Réel n’était peut être pas ce parent « pilier de sécurité »; on perd davantage la représentation de ce qu’on aurait espéré que ce parent soit).

Ainsi, même si la relation avec son parent n’était pas harmonieuse, beaucoup ont la surprise de constater qu’ils/elles sont très touchés et affectés par son décès: en effet, au-delà de la peine de la perte de ce parent du réel, c’est le Parent Archétypal, le Parent Protecteur qui meurt et on se retrouve orphelin de ce Parent là.

Une disparition qui ferme la possibilité de dialogue et de réparation

Le décès du parent met l’enfant adulte au pied du mur: si la relation avec son parent était difficile ou conflictuelle, sa disparition ferme définitivement toute possibilité de dialogue et de réparation des griefs d’autrefois. C’est ce que la psychiatre Elisabeth Kübler Ross (Les derniers Instants de la Vie) nomme l’ « unfinished business » ou les « affaires en suspens ». Il s’agit de tout ce qu’on ne pourra plus « régler » avec son parent, du fait de son décès. L’enfant adulte se retrouve seul avec sa colère ou son ressentiment vis-à-vis des carences de son parent au cours de leur relation. Il doit renoncer à recevoir l’amour dont il estime peut être avoir été privé, il doit renoncer à ces explications dont il pense avoir tant besoin pour avancer dans sa propre vie -discussions qu’il n’a jamais pu avoir avec son parent de son vivant- il est aujourd’hui privé de l’opportunité de dire à son parent son amour, alors qu’il n’a jamais su ou osé le faire auparavant, il ne peut plus lui dire « pardon » ou lui accorder son pardon. Il se fait le reproche de toutes ses occasions perdues de nommer ce qui aurait pu l’être, en remettant toujours ces échanges à plus tard, jusqu’à ce qu’il soit aujourd’hui trop tard.

Tout ceci souligne combien il est essentiel de tenter (avec succès ou non) d’ouvrir le dialogue avec son parent, de son vivant, si on porte en soi des mots -et des maux- qu’on a besoin d’échanger avec lui. Cela reste possible jusqu’aux derniers instants, dans l’accompagnement de fin de vie ou même lors de l’ultime au revoir. C’est l’opportunité, si on peut la saisir, si le parent s’y ouvre lui même et si les circonstances le permettent, de faire enfin la paix et de se débarrasser de pesanteurs qui se manifesteront presque inévitablement durant le deuil. C’est peut être là aussi où l’enfant adulte accepte de « lâcher prise » et de renoncer définitivement à obtenir coûte que coûte réparation de ses griefs (réels ou non) à l’égard de son parent ».

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Pris de la fenêtre de la cuisine de ma mère, décembre 2014